Inapplicabilité d’une clause de conciliation préalable en cas de responsabilité légale de l’architecte

Un chantier se termine, les clefs passent de main en main, puis un premier désordre apparaît. Fissures, infiltrations, plancher qui s’affaisse. Le contrat prévoit une clause de conciliation préalable. Faut-il la respecter avant d’agir ? La réponse tient en quelques mots simples : si votre action repose sur l’article 1792 du Code civil, la clause ne fait pas obstacle. La Cour de cassation le rappelle avec constance. Dans cette page, nous expliquons la logique, la méthode et les bons réflexes pour avancer vite et bien, sans faux pas procédural.

1) L’article 1792 : une garantie légale qui s’impose à tous

La responsabilité décennale protège la solidité de l’ouvrage et son utilisation normale pendant dix ans après la réception. Elle s’applique de plein droit. Elle concerne les constructeurs : entrepreneurs, architectes, bureaux d’études, techniciens assimilés. Le maître d’ouvrage n’a pas à prouver une faute. Il démontre l’existence d’un désordre grave, son lien avec l’ouvrage, et la période utile. La loi verrouille le cadre. Les clauses contractuelles ne peuvent ni amputer la garantie, ni la retarder.

Conséquence directe : toute disposition qui entrave l’accès au juge ou qui différerait la réparation tombe. Les clauses imposant une médiation, une conciliation ou la saisine préalable d’un organe professionnel ne bloquent pas l’action fondée sur l’article 1792. Le droit privilégie la sécurité des personnes et des biens.

2) Conciliation préalable : utile parfois, neutralisée ici

La conciliation apaise beaucoup de litiges techniques secondaires. Elle permet des ajustements rapides. Elle économise du temps et des frais. Mais elle ne peut pas neutraliser un droit d’ordre public. La garantie décennale en fait partie. Le maître d’ouvrage peut donc saisir le tribunal directement. Il n’a pas à passer par une commission interne. Il n’a pas à saisir le conseil régional de l’ordre des architectes avant le juge. La clause demeure inopérante pour ce terrain-là.

Pourquoi cette fermeté ? Parce que retarder la réparation d’un désordre structurel, c’est parfois aggraver le risque. L’eau s’infiltre, les matériaux pourrissent, les charges se reportent. La loi privilégie l’intervention rapide du juge (souvent via une expertise judiciaire) pour stabiliser la situation et organiser la reprise.

3) Où s’arrête l’inopposabilité ? La frontière à connaître

Tout ne relève pas de la décennale. La clause de conciliation peut retrouver sa force dans trois cas fréquents :

  • Differends contractuels sur honoraires, calendrier, modalités de mission.
  • Garantie biennale liée à un équipement dissociable (ex. : interphone, chaudière, volets motorisés).
  • Garantie de parfait achèvement durant l’année suivant la réception pour des défauts non structurels.

La qualification du désordre dirige la stratégie. Quand l’atteinte porte la solidité ou l’usage normal, sur dix ans, le terrain est décennal. Quand l’atteinte concerne un équipement remplaçable sans toucher au gros œuvre, la voie biennale ou contractuelle peut suffire. Tout se joue donc dans la description des faits et des effets.

4) Qualifier le désordre : une méthode en trois temps

Les juges examinent trois critères :

  1. Gravité : l’atteinte met en cause la stabilité ou empêche l’usage normal du bien.
  2. Lien avec l’ouvrage : le désordre trouve sa source dans la construction elle-même.
  3. Temporalité : le désordre apparaît et est actionné dans les dix ans de la réception.

Pour convaincre, restez factuel. Décrivez la gêne, le danger, l’étendue. Bannissez l’emphase. Préférez des éléments simples qui se vérifient sans débat inutile.

Pièces qui pèsent véritablement

  • Constat de commissaire de justice (dates, mesures, localisation).
  • Rapport d’expert amiable circonstancié, puis rapport judiciaire.
  • Photographies datées (même angle, plusieurs mois).
  • Devis de reprise et factures d’urgences (étaiement, bâchage, pompage).

Chaque pièce doit « parler » seule. Plus elle se suffit à elle-même, plus elle éclaire la décision.

5) L’architecte face à la décennale : un régime objectif

L’architecte conçoit, prescrit, coordonne, contrôle. Sa mission varie selon le contrat (ESQ, APS, APD, PRO, ACT, VISA, DET, AOR), mais sa qualité de constructeur le place dans le périmètre de l’article 1792. La recherche d’une faute précise n’est pas nécessaire. Le désordre majeur suffit. L’assureur décennal de l’architecte se trouve alors en première ligne, aux côtés des autres responsables.

Cette objectivité ne signifie pas fatalité. Des réserves tracées, des alertes écrites, un refus documenté d’un choix technique imposé peuvent limiter la part de responsabilité. La traçabilité protège tout le monde, surtout quand la pression du chantier invite parfois à « faire vite ».

6) Décennale, biennale, parfait achèvement : bien choisir la voie

Trois garanties coexistent et ne se confondent pas :

  • Parfait achèvement (1 an) : tous désordres signalés lors de la réception ou dans l’année.
  • Biennale (2 ans) : éléments d’équipement dissociables (remplaçables sans porter atteinte à l’ouvrage).
  • Décennale (10 ans) : solidité compromise ou impropriété à destination.

Dans la première et parfois la seconde, une clause de conciliation peut demeurer applicable. Dans la troisième, elle s’efface. La précision des termes dans vos écritures évite les débats stériles.

7) Procédure : un plan d’action rapide et sécurisé

Étape 1 : Mise en demeure. Adressez une lettre claire et datée aux intervenants et à leurs assureurs. Décrivez les désordres, rappelez la date de réception, mentionnez l’article 1792, exigez des mesures d’urgence.

Étape 2 : Référé expertise. Saisissez le juge des référés pour obtenir la désignation d’un expert judiciaire. L’expert constatera, chiffrera, analysera les causes et proposera des solutions. Il réunira toutes les parties autour de la table technique. C’est le cœur battant du dossier.

Étape 3 : Mesures conservatoires. Si un péril menace, demandez des mesures immédiates : étaiements, bâchage, sécurisation des accès, éviction temporaire. La sécurité prime.

Étape 4 : Action au fond. Sur la base du rapport d’expertise, chiffrer la reprise et indemniser les préjudices accessoires (perte de jouissance, frais d’hébergement, meubles endommagés). La clause de conciliation demeure inopérante sur ce terrain.

8) Assurances : DO, décennale et articulation des recours

L’assurance dommages-ouvrage (DO) préfinance la réparation des désordres décennaux, sans attendre la détermination exacte des responsabilités. Déclarez le sinistre tôt, avec un dossier complet. La DO indemnisera puis exercera ses recours contre les assureurs décennaux des intervenants, dont celui de l’architecte.

Sans DO, visez directement les assureurs décennaux identifiés. Joignez les attestations d’assurance collectées au marché. S’il manque une attestation, mentionnez les démarches réalisées. La couverture d’assurance sécurise la solvabilité du processus d’indemnisation.

9) La réception : ne la bâclez jamais

La réception déclenche les garanties. Préparez-la comme une véritable étape projet : listez les points à contrôler, invitez les entreprises, dressez un procès-verbal clair avec réserves précises. Refusez une réception précipitée si des non-conformités majeures sautent aux yeux. À défaut, attention à la réception tacite : prise de possession + paiement substantiel + absence de contestation écrite peuvent la caractériser, avec des effets procéduraux redoutables.

10) Exemples parlants : quand la décennale s’impose

  • Infiltrations par toiture : taches étendues, isolant gorgé d’eau, charpente altérée.
  • Fissures traversantes sur porteurs ou façades : réseau actif, progression mesurée, risque structurel.
  • Affaissement de plancher : flèche excessive, portes qui coincent, bruit de rupture.
  • Désagrégation d’enduits généralisée : chute de matériaux, atteinte à la sécurité.

À l’inverse, un carrelage qui sonne creux, une microfissure d’enduit isolée, un dysfonctionnement ponctuel d’interphone relèvent rarement de la décennale. La proportionnalité reste la boussole.

11) Stratégie gagnante : clarté, chronologie, proportion

Racontez l’histoire du chantier en quatre dates majeures : ordre de service, réception, première alerte, aggravation. Indexez les pièces. Proposez une réparation techniquement robuste, chiffrée, justifiée par l’expertise. Distinguez ce qui est urgent de ce qui est définitif. Une posture mesurée favorise l’accord comme le jugement.

12) Clauses pièges : que peut-on écarter sans trembler ?

Certains contrats empilent les préalables : médiation interne, conciliation hiérarchique, saisine obligatoire de l’Ordre, délais d’attente démesurés, menaces d’irrecevabilité. Pour la partie décennale du litige, ces pièges ne tiennent pas. Le juge les écarte. En revanche, conservez ce qui peut être utile pour les questions connexes non décennales (honoraires, calendrier, équipements dissociables). La nuance fait gagner du temps.

13) Maîtres d’ouvrage : check-list express

  • Déclarez immédiatement à la DO et aux assureurs décennaux.
  • Documentez chaque évolution (photos datées, relevés, mesures).
  • Saisissez le juge des référés pour une expertise.
  • Écartez calmement la clause de conciliation pour le volet décennal.
  • Sécurisez les urgences (étaiements, bâchage, évacuation si besoin).

14) Architectes et entreprises : trois réflexes de prévention

  • Traçabilité des avis techniques, alertes et désaccords.
  • Réception maîtrisée : réserves motivées, levées planifiées.
  • Écrits datés et sobres avec le maître d’ouvrage sur chaque point sensible.

Cette hygiène documentaire évite les malentendus et réduit l’aléa judiciaire. Elle pèse lourd lors de l’expertise.

15) Délais : ne jouez pas avec l’horloge

Le délai décennal court à compter de la réception. Il s’achève dix ans jour pour jour. Des actes peuvent l’interrompre, mais ils doivent viser l’objet exact du litige. Ne pariez pas sur une conciliation hasardeuse à quelques mois de la prescription. Engagez les procédures utiles en temps utile. Le droit ne sauve pas un droit prescrit.

16) Mythes & réalités

« Sans conciliation préalable, mon action sera irrecevable » : faux en décennale. Le juge écarte la clause.

« Je dois d’abord prouver une faute de l’architecte » : non. En décennale, la faute n’est pas exigée, le désordre grave suffit.

« Sans DO, je suis bloqué » : non. Vous agirez directement contre les assureurs décennaux des intervenants.

« Une réception tacite, ce n’est jamais grave » : attention. Elle déclenche les délais et change la donne probatoire.

17) FAQ rapide

Dois-je malgré tout tenter un échange amiable ? Oui, si la sécurité n’est pas en jeu. Un courriel factuel, une réunion technique, c’est utile. Mais ne laissez pas filer la prescription.

L’expertise amiable suffit-elle ? Elle aide à cadrer. L’expertise judiciaire reste la pierre angulaire pour convaincre le tribunal et les assureurs.

Que faire si l’architecte invoque la clause ? Rappelez l’ordre public de la décennale, citez l’article 1792, demandez au juge d’écarter l’exception.

Peut-on régler au cours de l’expertise ? Oui. Beaucoup d’affaires se règlent après la note de synthèse technique, quand tout le monde voit clair.

18) Le rôle de votre conseil : cadrer, accélérer, sécuriser

Un dossier de construction exige une méthode. Votre avocat à Bayonne reconstitue la chronologie, trie les pièces, enclenche le référé, encadre l’expertise, prépare les échanges techniques, chiffre proprement la réparation et les préjudices accessoires. Il écarte les clauses inopérantes, anticipe la défense des assureurs et propose une issue proportionnée. L’objectif reste simple : remettre l’ouvrage en état, rapidement et durablement, tout en sécurisant l’indemnisation.

L’accompagnement de votre cabinet d’avocat LEFEBVRE AVOCAT

Votre cabinet d’avocat LEFEBVRE AVOCAT intervient en contentieux de la construction et en expertise judiciaire. Nous analysons la nature des désordres. Nous qualifions leur gravité au regard de la garantie légale. Nous bâtissons un plan d’action pragmatique : référé expertise, mesures conservatoires, échanges techniques, puis action au fond. Nous cadrons la relation avec les assureurs. Nous veillons à la proportionnalité des reprises et à la soutenabilité des calendriers.

Notre équipe privilégie l’apaisement lorsque la technicité le permet. Elle propose une médiation utile pour accélérer la reprise, sans renoncer aux droits acquis. Elle défend fermement votre position lorsque la sécurité de l’ouvrage l’impose. Elle ajuste la stratégie à chaque étape de l’expertise. Elle reste disponible et réactive, y compris en phase d’urgence. Notre ligne directrice tient en quatre mots : clarté, rigueur, loyauté, efficacité.

À retenir

  • La clause de conciliation préalable ne bloque pas l’action fondée sur l’article 1792.
  • La qualification du désordre oriente tout : solidité ou impropriété = décennale.
  • L’expertise judiciaire structure la solution technique et l’indemnisation.
  • Les délais se maîtrisent dès la réception et ne se négocient pas.
  • Une stratégie claire accélère la remise en état et réduit les coûts cachés.

Vous souhaitez obtenir plus d’informations ou faire appel à nos services ? N’hésitez pas à nous contacter dès aujourd’hui.

Par |2025-09-14T16:50:56+02:0014 juin 2019|

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