Sans saisir la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État valide le dispositif des joueurs issus des filières de formation mis en place par la Ligue nationale de rugby dans le championnat professionnel français.
Scott Spedding, joueur de rugby d’origine sud-africaine, estimait que ne pas avoir le statut de joueur issu des filières de formation (JIFF) l’empêchait de trouver un employeur.
Sa requête, déjà rejetée en référé en 2018 (CE, ord., 3 mai 2018, n° 419624, Dalloz jurisprudence), l’est cette fois au fond, en l’absence d’atteinte à la liberté de circulation des travailleurs (TFUE, art. 45). Pour faire face à l’afflux de joueurs étrangers dans les championnats professionnels et favoriser l’émergence des Français, la Ligue nationale de rugby (LNR) a créé le concept de JIFF lors de la saison 2010-2011. Ce dispositif oblige tous les clubs de Pro D2 et de Top 14 à maintenir un taux de joueurs issus des centres de formation supérieur à 40 % dans leurs effectifs de référence. Aucune discrimination n’est faite sur la nationalité du joueur, le règlement favorisant la formation des joueurs en France. Cette mesure doit monter en puissance : chaque équipe du Top 14 doit par exemple aligner quinze JIFF sur chaque feuille de match cette saison, mais elle devra en présenter seize à partir de la saison prochaine, puis dix-sept à compter de la saison 2021-2022. Cette obligation, d’une part, est requise pour bénéficier d’incitations financières et, d’autre part, est prescrite à peine de pénalités sportives sous forme de retraits de points. Le Conseil d’État reconnaît que ces conditions peuvent être « plus facilement remplies par des joueurs de nationalité française que par des joueurs d’autres nationalités et sont ainsi susceptibles de porter atteinte à la liberté de circulation au sein de l’Union européenne ».
Des objectifs proportionnés
Toutefois, « ces conditions sont, en premier lieu, destinées à permettre aux joueurs formés sous l’égide de la Fédération française de rugby, notamment dans les centres de formation professionnelle des clubs, agréés par cette fédération, de développer leur pratique de haut niveau et d’améliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels. Elles visent en second lieu à favoriser le développement de la formation des jeunes joueurs aux différents postes de jeu du rugby à XV en vue d’assurer le développement de ce sport et, par là même, la création d’un vivier de joueurs pour une équipe nationale compétitive ». Eu égard aux spécificités du rugby, la haute juridiction estime que « le seuil maximal par club de seize joueurs non issus des filières de formation et autorisés à participer aux championnats organisés par la Ligue, progressivement réduit à treize joueurs, et la moyenne minimale de quatorze joueurs issus des filières de formation devant être inscrits sur les feuilles de match par saison, progressivement portée à dix-sept joueurs, demeurent proportionnés aux objectifs poursuivis ».
Avec l’arrêt Bosman (CJCE 15 déc. 1995, aff. C-415/93, Union royale belge des sociétés de football association ASBL c. Bosman, AJDA 1996. 273, chron. H. Chavrier, E. Honorat et G. de Bergues ; D. 1996. 11 ; Dr. soc. 1997. 397, chron. S. Van Raepenbusch ; ibid. 510, chron. S. Van Raepenbusch ; RTD eur. 1996. 101, étude G. Auneau ), la libre circulation a été étendue aux joueurs européens puis, avec les accords de Cotonou, aux joueurs des États signataires de ces accords comme l’Afrique du Sud, les Tonga, les Fidji. La LNR, qui semble avoir trouvé une solution pour préserver le système de formation français, est ici soutenue par le Conseil d’État, qui n’a pas jugé utile de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle. Ce qui ne signifie pas pour autant que le débat soit clos au niveau européen.
Par Jean-Marc PASTOR
Source : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/joueurs-de-rugby-formes-en-france-et-libre-circulation-des-travailleurs#.XQN9v4gzaUk
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