Cons. const. 24 mai 2019, n° 2019-786 QPC

Statuant sur QPC, le Conseil constitutionnel a estimé que le délai de distance figurant au premier alinéa de l’article 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d’« un jour par cinq myriamètres », était contraire au principe d’égalité devant la justice. 


Dans une affaire de diffamation opposant deux associations de défense de l’environnement, l’association Sea Shepherd, partie civile, a présenté une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’occasion du pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait déclaré nulle la citation directe délivrée à son initiative et l’avait déboutée de ses demandes. La question portait sur le délai spécifique prévu par l’article 54 de la loi du 29 juillet 1881 en matière de délit de presse, entre la date de délivrance de la citation et celle de l’audience devant la juridiction de jugement, fixé à « vingt jours outre un jour par cinq myriamètres de distance » (1 myriamètre équivalant à 10 km, le délai de comparution est ainsi augmenté d’un jour par 50 km de distance). Jugée sérieuse par la chambre criminelle qui a estimé qu’était en jeu la conciliation entre la liberté d’expression et l’égalité devant la justice, la question a été transmise au Conseil constitutionnel par arrêt du 5 mars 2019 (n18-85.074, F-D).

L’association demanderesse soutenait devant les Sages de la rue Montpensier que ce délai de distance spécifique, qui peut atteindre plusieurs mois selon le lieu de résidence du prévenu alors qu’en toute autre matière il est d’un mois (C. pr. pén., art. 552), portait atteinte au droit de la partie civile d’agir en justice (DDH, art. 2), au principe d’égalité devant la justice (DDH, art. 6) et au droit à la réputation, composante du droit au respect de la vie privée (DDH, art. 16).

Partant de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme, les Sages commencent par rappeler que « le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, […] à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales » (consid. 5). Il leur apparaît alors que la prise en compte de la distance séparant le lieu de résidence de la personne poursuivie du lieu où elle est citée à comparaître, destinée à lui garantir un temps suffisant pour son déplacement, « n’est, par elle-même, pas contraire au principe d’égalité devant la justice » (consid. 8). Cependant, en raison de l’étendue du territoire de la République et des moyens actuels de transport, les différences de délais résultant de l’application de l’article 54, alinéa 1er « dépassent manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte les contraintes de déplacement, et ce quelle que soit la distance séparant le lieu de résidence du prévenu de celui de sa comparution » (consid. 8). Les dispositions en cause, procédant à une distinction injustifiée entre les justiciables, méconnaissent le principe d’égalité et sont contraires à la Constitution. Les autres griefs ne sont donc pas examinés.

Le constat d’inconstitutionnalité appelle les Sages à se prononcer sur sa date de prise d’effet. Sur ce point, et contrairement à ce que plaidait le conseil de la demanderesse, il est décidé de reporter au 31 mars 2020 la date de l’abrogation des dispositions contestées pour permettre au législateur d’intervenir, ce qui a pour conséquence de priver l’auteure de la question du bénéfice de l’inconstitutionnalité (la citation délivrée dans cette affaire demeure irrégulière). Cependant, le Conseil précise qu’il y a lieu de juger que les citations délivrées en application de la loi du 29 juillet 1881 après la date de publication de sa décision (25 mai 2019) sont soumises aux délais de distance déterminés aux deux derniers alinéas de l’article 552 du code de procédure pénale (à savoir un ou deux mois selon le lieu de résidence, hors métropole, de l’intéressé ; précisons que le délai de première comparution de droit commun est de 10 jours, et non de 20 jours, comme le prévoit l’article 54 de la loi sur la presse ; V. Rép. pén., vo Presse [procédure], par P. Guerder, no 685).

Ainsi, le Conseil reporte – ce qui est devenu fréquent – les effets de l’abrogation tout en proposant – ce qui est plus original – un aménagement des dispositions applicables à compter du 25 mai par le biais d’une réserve d’interprétation. Si la présente décision fait donc disparaître de la loi sur la presse la référence sans doute désuète au myriamètre (Rép. pén., préc.), la question du maintien d’un délai de distance spécifique en matière de presse, elle, devra être tranchée par le législateur.

Par Sabrina LAVRIC

Source : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/citation-en-matiere-de-presse-delai-de-distance-juge-inconstitutionnel#.XQOMH4gzaUk