Suscitant l’ire de Pékin, le président démocrate charge ses agences de creuser la piste ouverte par Trump.

 

Correspondant à Washington du FIGARO du 27 mai 2021

https://www.lefigaro.fr/international/coronavirus-biden-relance-la-piste-du-labo-chinois-20210527

La piste de l’origine accidentelle de la pandémie de Covid-19 a fini par être prise au sérieux par la nouvelle Administration américaine. Mercredi, Joe Biden a ordonné à ses agences de renseignement de «redoubler» d’efforts dans leur enquête sur les débuts de l’épidémie, en incluant l’hypothèse d’un accident survenu dans un laboratoire chinois. Il a demandé qu’un rapport lui soit soumis d’ici à trois mois, et aux laboratoires américains de contribuer à l’enquête.

Sur le fait de savoir si le virus avait une origine animale ou était issu d’un laboratoire, Biden a expliqué que les services de renseignement américains se sont accordés sur l’existence de «deux scénarios probables, sans parvenir à une conclusion définitive». «Actuellement, deux agences penchent pour le premier scénario et une autre pour le second, chacun avec une confiance faible ou modérée ; la majorité ne pense pas qu’il y ait suffisamment d’informations pour évaluer l’un comme étant plus probable que l’autre», a ajouté Biden. «Les États-Unis continueront également, avec leurs partenaires à travers le monde, à faire pression sur la Chine afin qu’elle participe à une enquête internationale complète, transparente et fondée, et qu’elle donne accès à toutes les données et preuves nécessaires.»

Ce revirement survient après que la nouvelle Administration a minimisé pendant des mois la possibilité qu’un laboratoire chinois soit à l’origine de la pandémie, hypothèse considérée comme une théorie du complot. Après leur entrée en fonction, les nouvelles autorités américaines ont même mis fin à une enquête du Département d’État, lancée à la fin de l’Administration Trump pour prouver que le coronavirus provenait d’un laboratoire chinois, invoquant des préoccupations concernant la qualité de son travail. Cette enquête avait été confiée à l’automne dernier au Bureau de la vérification et du contrôle des armements par le secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo, qui était décidé à prouver que la recherche militaire chinoise en armes biologiques pouvait avoir eu des liens avec la création du virus.

Suspicieux à l’égard de toutes les décisions prises par l’Administration Trump, les démocrates, et la plupart des médias américains, avaient considéré les accusations lancées à l’époque par le président Trump contre la Chine comme l’une de ses sorties habituelles, destinée à blâmer quelqu’un d’autre et dépourvue de fondement. D’abord défendue par quelques scientifiques et enquêteurs isolés, mais publiquement rejetée par la majorité des institutions, américaines et internationales, l’hypothèse d’une origine humaine du virus a pourtant gagné en crédibilité

Plusieurs faits et coïncidences troublantes se sont accumulés. La première est l’existence de laboratoires spécialisés dans la recherche sur les coronavirus dans la ville même de Wuhan d’où est partie l’épidémie. L’absence de preuves fournies par la Chine pour étayer l’origine animale du virus, l’hypothèse officielle de Pékin, et surtout l’énergie déployée par les autorités chinoises pour empêcher toute enquête sérieuse, privant d’accès aux données la commission de l’OMS, sont venues renforcer les soupçons.

Le débat a été relancé par le quotidien américain Wall Street Journal, qui a révélé dimanche un rapport du renseignement américain selon lequel plusieurs chercheurs travaillant à l’Institut de virologie de Wuhan avaient été hospitalisés au début du mois de novembre 2019, soit six semaines avant le début officiel de la pandémie, avec «des symptômes correspondants soit au Covid-19, soit à la grippe saisonnière»

En mars dernier, David Asher, qui a dirigé l’enquête du Département d’État sur l’origine de la pandémie, avait exprimé son scepticisme sur le fait que les chercheurs aient pu être victimes d’une simple maladie saisonnière. «Il est possible qu’il s’agisse de la grippe, mais je doute fort que trois personnes travaillant dans des conditions hautement protégées au sein d’un laboratoire de niveau 3 spécialisé dans les coronavirus, tombent toutes malades de la grippe et soient hospitalisées ou bien dans un état grave au cours de la même semaine, et que cela n’ait rien à voir avec le coronavirus. C’est très difficile à croire», avait-il dit.

Le 15 janvier dernier, soit quelques jours avant la fin du mandat de Donald Trump, le Département d’État américain avait déjà mentionné ces hospitalisations, révélant aussi que l’Institut de virologie de Wuhan pratiquait des expériences de mutations à gain de fonction sur les coronavirus, et qu’il travaillait avec les programmes militaires chinois. Ces révélations étaient passées relativement inaperçues, considérées par les démocrates et les médias américains comme tout ce qui émanait de l’Administration Trump.

La volte-face de la nouvelle Administration américaine a suscité la fureur des autorités chinoises. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a déclaré que l’annonce de Biden montrait que les États-Unis «ne se soucient pas des faits et de la vérité, et ne sont pas non plus intéressés par une recherche scientifique sérieuse des origines» de la pandémie.

L’affaire comporte aussi une forte dimension de politique intérieure pour Joe Biden, que les informations du Wall Street Journal et la révélation de la suspension de l’enquête du Département d’État ont placé sur la défensive. Pendant la campagne électorale, les démocrates avaient reproché à Trump d’avoir retiré les États-Unis de l’OMS au motif que l’organisation était inféodée à la Chine, et Biden avait rejoint l’agence dès son entrée en fonction. Les républicains accusent à présent le président démocrate de faiblesse face à la Chine, et de ne pas avoir pris en compte les révélations de son prédécesseur.

«Nous devons savoir ce qui s’est passé», a dit l’ancien Secrétaire d’État Mike Pompeo sur la chaîne Fox News. «Le parti communiste chinois sait ce qui s’est passé. Ils savent qui était le patient zéro. Ils savent précisément où cela a commencé.»

«Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que j’avais raison lorsque j’ai très tôt désigné Wuhan comme la source du Covid-19, parfois appelé le virus chinois», a triomphé Trump dans un courriel. «Pour moi, c’était évident dès le début, mais j’ai été très critiqué, comme d’habitude. Maintenant, tout le monde dit: Il avait raison! Merci!»

La méfiance ouvertement affichée par Trump à l’égard des services de renseignement américains et du Département d’État, la politisation extrême de ses déclarations, et le refus de coopérer avec la nouvelle Administration ont pu aussi contribuer à décrédibiliser ces informations.

Autre signe que la théorie du laboratoire comme origine possible du Covid est désormais difficile à nier, Facebook, qui bloquait jusqu’à présent la diffusion d’informations à propos de cette hypothèse, a levé mercredi cette interdiction.

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